La crise des « gilets jaunes » doit nous amener à nous interroger sur ses raisons profondes. L’une d’elles, si ce n’est la principale, trouve son origine dans le modèle à l’œuvre. La concentration des richesses et du développement sur quelques territoires urbains y accélère la rareté foncière et la hausse des prix de l’immobilier. La catégorie des locataires se vide petit à petit de ses membres les plus aisés, incapables qu’ils sont de payer des loyers de plus en plus élevés ; quant aux accédants à la propriété, ils s‘acharnent à réaliser leur rêve au prix de prêts de longues durées et de privations. Même ce modèle ne fonctionne plus vraiment : malgré toutes les incitations économiques ou fiscales, le nombre de propriétaires dans notre pays reste faible à 57 % ! Pour tous les autres, l’incapacité à trouver un logement au bon prix signifie presque toujours l’obligation de s’éloigner des grands centres urbains dans l’espoir de se loger à moins cher et la nécessité de disposer d’un ou de plusieurs véhicules. Quant à celles et ceux de nos concitoyens qui habitent dans les zones rurales, ils sont angoissés par le départ inexorable des jeunes vers les centres urbains, la raréfaction des services publics, le sentiment de déclassement…mais aussi par la chute inexorable des prix de l’immobilier ….car c’est petit à petit, le capital sur lequel on comptait pour ses vieux jours ou que l’on espérait léguer à ses enfants qui perd de sa valeur faute de demande suffisante.
Nous avons donc aujourd’hui deux marchés de l’immobilier dans notre pays. Le marché des grands centres urbains qui concentre le travail, la richesse, la nouvelle économie et dont les prix ne cessent d’augmenter. Sauf exception, seules les catégories aisées peuvent y accéder ! Le marché immobilier des zones périphériques et rurales accueille les ménages les plus modestes. Il est appelé à connaître compte-tenu des évolutions démographiques un déclin réel.
C’est bien le logement qui pèse le plus lourd dans le budget des ménages ! Selon l’Insee, le coût du logement représentait en 1959 9,3 % des revenus disponibles, c’est aujourd’hui 22,6 %. Les dépenses contraintes en 1959 représentaient près de 12 % du revenu disponible contre….30 % en 2016 !
Sauf à admettre cette évolution, nous devons travailler sur deux orientations.
La première est celle de l’aménagement du territoire. Un autre modèle est possible si l’on décide de mieux répartir les entreprises et l’emploi sur les territoires, d’y préserver les services publics, de soutenir le développement des transports en commun y compris là où cela n’est pas forcément rentable. L’Etat devrait aussi travailler à un nouveau mouvement de décentralisation des administrations de Paris vers la province et les villes moyennes. Il pourrait aussi inciter les grandes entreprises qui se trouvent en région parisienne et qui reçoivent des aides de l’Etat à renouer avec la province. Bien évidemment, tout cela n’est possible qu’à la condition supplémentaire mais nécessaire que les territoires bénéficient tous d’une bonne couverture Internet. Le télé-travail pourrait aussi y prendre toute sa place !
La deuxième orientation consiste à s’interroger sur deux points en relation avec les marchés fonciers et immobiliers des grands centres urbains. Est-il normal que le prix du foncier représente parfois jusqu’à 40 % du coût d’acquisition pour le ménage ? Il est plus que temps de placer la question de la rente foncière au cœur des politiques publiques. Certains territoires tentent de soustraire le foncier des griffes du marché par des politiques d’acquisition et d’urbanisme ambitieuses ou encore par la mise en place d’outils permettant la dissociation du prix du foncier et de l’immobilier. Mais peut-être faudra-t-il tout simplement s’interroger, un jour, sur la propriété du sol dans les zones tendues ? Doit-il rester, quand l’intérêt général est en jeu, entre les mains de propriétaires privés ? Quant aux politiques de l’habitat qui, quand elles sont bien menées, permettent de répartir plus harmonieusement les populations sur un territoire, reconnaissons qu’elles ne sont pas toujours la préoccupation première de certains élus.
Enfin, il faut avoir le courage de dénoncer l’hypocrisie qui règne s’agissant des prix du foncier et de l’immobilier. En effet, pour l’heure, trop de gens ont encore intérêt à la hausse des prix : les vendeurs qui espèrent toujours réaliser une plus-value supplémentaire mais aussi les collectivités locales et l’Etat qui en tirent des recettes conséquentes. Il est urgent de rompre cette spirale infernale faute de quoi nous produirons toujours plus de « gilets jaunes »
Dans ce contexte de fragmentation et au-delà des mesures techniques proposées pour changer de véhicule ou de chaudière, ce que souhaitent les français qui s’expriment dans la rue c’est qu’on leur réponde sur leur place dans la société. Les réponses ne viendront pas d’un état désargenté mais des territoires eux-mêmes pourvu qu’on les laisse agir.
Honoré PUIL (Mouvement Radical)
Vice-président de Rennes Métropole
Délégué à l’habitat, au logement
Et aux gens du voyage.